Jean Dubuffet

(1901-1985)

Jean Dubuffet est l’une des figures majeures de l’art de la seconde moitié du XXe siècle, auteur d’une œuvre singulière qui entend rester à l’écart de l’art de son temps, tel un continent autonome. Sa démarche créatrice repose sur la volonté de se défaire de la culture institutionalisée, « asphyxiante », véritable endoctrinement.

Jean Dubuffet naît en 1901 au Havre. Ses condisciples au lycée sont les futurs écrivains Georges Limbour, Armand Salacrou et Raymond Queneau. Il suit les cours du soir à l’École des Beaux-Arts du Havre. Bachelier, il s’installe à Paris avec Georges Limbour pour se consacrer à la peinture. Il fréquente brièvement les cours de l’académie Julian. Il se lie avec André Masson, Fernand Léger et rencontre Gris chez le marchand Daniel-Henry Kahnweiler. L’année 1924 marque une rupture. Il est dubitatif sur les valeurs de la culture. Il arrête la peinture durant huit ans. Après quatre mois passés à Buenos Aires, il regagne Le Havre où il entre dans l’affaire familiale de commerce de vin. Au début des années 1930 il crée son propre négoce de vin dans les entrepôts de Bercy qu’il met rapidement en gérance pour se consacrer de nouveau à la peinture. Il est à la recherche d’une forme d’expression nouvelle. Il réalise des masques et des marionnettes. Il abandonne une nouvelle fois la peinture pour sauver son commerce de la faillite. A la déclaration de guerre, il est mobilisé.

A l’automne 1942 Dubuffet revient encore à la peinture avec cette fois l’intention de s’y consacrer entièrement. Il ne la quittera plus. Ses conceptions ont changé. La création artistique ne lui semble plus nécessiter les savoir-faire traditionnels qu’il s’est efforcé d’acquérir. Elle lui semble même plus authentique et plus efficace empreinte d’une désinvolte aisance[1]. Dans le prolongement des artistes de la génération précédente, Il s’intéresse aux dessins d’enfants qui font pleinement écho à ses nouvelles positions, à rebours du « savoir ». En 1943 il compose une série sur le thème du Métro, très colorée. La même année, son ami Georges Limbour lui présente Jean Paulhan, figure centrale de l’édition, directeur littéraire des éditions Gallimard (dont il compose un nombre important de portraits entre 1945 et 1947). Par son intermédiaire il rencontre de nombreux écrivains, poètes, éditeurs, galeristes, peintres : Pierre Seghers, Louis Parrot, Paul Eluard, André Frénaud, Eugène Guillevic, Francis Ponge (Francis Ponge jubilation, 1947, collection particulière), Jean Fautrier, René de Solier, Marcel Arland et René Drouin. Dubuffet expose dans la galerie de ce dernier pour la première fois en octobre 1944. Jean Paulhan rédige un texte pour la préface du catalogue. Son œuvre est alors empreinte d’un schématisme extrême vers l’expression de l’archétype, qui rompt avec le souci réaliste de ressemblance de ses œuvres précédentes. Pierre Matisse, le fils du peintre, marchand d’art à New York, lui achète plusieurs peintures en 1945. Il devient son marchand en Amérique jusqu’en 1960. Au cours d’un voyage en Suisse avec Jean Paulhan et l’écrivain Paul Budry, Dubuffet entreprend ses premières recherches sur les productions de l’Art Brut. René Drouin présente dans sa galerie en 1946 l’exposition Mirobolus, Macadam et Cie, Hautes pâtes, « triturations de matériaux épais tels qu’asphalte et bitume, plâtre, etc. J’avais pris le parti d’œuvres éphémères, écrit-il, rejetant tout souci de leur conservation[2] ». Stylistiquement extrêmement primaires ces œuvres illustrent la leçon du dessin d’enfant, ainsi Miss Choléra (The Solomon R. Guggenheim Museum, New York) comme la série des portraits de l’année suivante. Dubuffet publie Prospectus aux amateurs de tout genre aux éditions Gallimard.

 

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Métro, 1943, dessin © ADAGP, Paris, 2024 / Centre Pompidou, Paris

En 1947 Pierre Matisse présente sa première exposition Jean Dubuffet à New York. L’artiste peint Portrait de Pierre Matisse, 1947 (Centre Georges Pompidou, musée national d’Art moderne/CCI, Paris). Dubuffet découvre le désert saharien, El Goléa. Dans le désert il trouve le « rien » à partir duquel construire[3]. A l’automne 1947, l’exposition Portraits par Dubuffet, se tient à la galerie René Drouin avec une série de portraits d’écrivains et d’artistes dont Francis Ponge, Jean Paulhan, Georges Limbour, Paul Léautaud, Jean Fautrier, Henri Michaux, Antonin Artaud, André Dhôtel, Charles-Albert Cingria, Michel Tapié, etc. Tout l’Œuvre de Dubuffet se développe en séries portant des titres spécifiques.

L’artiste crée le Foyer de l’Art Brut au sous-sol de la galerie René Drouin en 1948. Plusieurs expositions y sont organisées avant son installation rue de l’Université dans un pavillon au fond du jardin des éditions Gallimard puis son départ en 1951 pour les Etats-Unis. En 1948 également, début novembre est fondé le groupe CoBrA qui se positionne comme Dubuffet en dehors de toutes préoccupations esthétiques. La toute nouvelle Compagnie de l’Art Brut, publie le premier texte de Dubuffet en jargon Ler dla canpane, inspiré de l’étude du dialecte parlé à El Goléa. L’artiste effectue un deuxième séjour dans le Sahara jusqu’en avril 1948, suivi d’un troisième l’année suivante. A son retour, il compose la série des Paysages grotesques. Les incisions qu’il pratique dans d’épaisses pâtes blanches maçonnées par-dessus des fonds sombres, rappellent les murs de torchis peints de blanc et historiés d’écorchures et de graffiti des édifices de l’oasis[4]. Dubuffet organise la première exposition de sa collection de l’Art Brut ; il publie L’Art Brut préféré aux arts culturels (Paris, René Drouin).

Il rencontre au cours de l’année 1950 le peintre américain Alfonso Ossorio qui se passionne pour son travail. Une nouvelle série voit le jour Corps de dames, composés de pâtes plastiques mêlées de graviers. Au début du printemps de l’année suivante, Dubuffet commence une nouvelle série de tableaux aux couleurs terreuses, présentant des reliefs tourmentés de pâtes épaisses évoquant selon les cas des fragments de sol, des tables, des pierres, ce sont les Sols et terrains, Tables paysagées et Paysages du mental. La galerie parisienne Rive Gauche lui offre une première rétrospective.

Il séjourne six mois à New York avec sa femme Lili (novembre 1951- avril 1952) pour étudier ses collections de l’Art Brut, envoyées outre-Atlantique pour être installer chez Ossario à East Hampton situé sur l’île de Long Island, en vain. Elles restent à New York. Au cours de son séjour, Dubuffet se lie d’amitié avec Yves Tanguy et sa femme Kay Sage. Il côtoie également Marcel Duchamp. Trente-deux de ses peintures sont présentées aux Arts Club de Chicago où il prononce en anglais son allocution sur la création artistique « Anticultural Positions ». De retour à Paris au printemps, il poursuit la série des Sols et terrains, puis des Lieux momentanés. Il dessine les Terres radieuses et compose la série des Pâtes battues dans lesquelles le « mental » est toujours central. Il réalise de petits tableaux à partir d’ailes de papillons (Jardin nacré, 1955, musée des Arts décoratifs, Paris). Dubuffet se consacre par ailleurs à la lithographie dans le célèbre atelier de Fernand Mourlot.

Il exécute des « sculptures » composées de matériaux naturels glanés un peu partout, (éponge, charbon de bois, mâchefer, etc.) ainsi Le Danseur (Centre Georges Pompidou, musée national d’Art moderne/CCI, Paris). Ces Petites statues de la vie précaire sont exposées galerie Rive Gauche en octobre-novembre 1954.

 

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Corps de dame, pièce de boucherie,1950, huile et sable sur toile ©  ADAGP,  Paris, 2024/ 2024, ProLitteris, Zurich / Photo: Robert Bayer

 

L’année suivante, sa femme Lili étant atteinte d’une fragilité pulmonaire, le couple s’installe à Vence où il fait construire de grands ateliers et une villa. Il réalise des Assemblages d’empreintes à l’encre de Chine et des Tableaux d’assemblage et renoue avec les collages d’ailes de papillons. Dubuffet partage dès lors son temps entre Vence et Paris. Il se consacre en 1957 et 1958 au cycle de peintures nommé Célébrations du sol avec les Topographies et les Texturologies qui prolongent ses recherches du début des années 1950 avec les Sols et terrains. Le succès auprès du public des Texturologies va à l’encontre de ses conceptions : « Bien que ces ventes soient avantageuses, elles manifestaient un échec au regard de mon aspiration à produire des œuvres tout à fait impropres à se voir introduites dans les circuits culturels[5] ». En parallèle, il entreprend la série des Phénomènes en lithographie (1958-1962) qui consistent en des reports d’assemblages ou plus simplement des prises d’empreintes de matières de toutes sortes aussi bien le sol, les murs, des pierres que des fils, des miettes, des morceaux de papier déchirés. Cette recherche le mobilise à tel point qu’il aménage un atelier de lithographie à Paris, rue de Rennes, et un autre à Vence. Il expose pour la première fois à la galerie Daniel Cordier. D’autres thèmes se font jour en 1959-1960 avec les séries des Barbes, par exemple Barbe des combats (National Gallery of Art, Washington), des Éléments botaniques, composés de végétaux séchés sous presse, ainsi Campagne nervurée (musée des Arts décoratifs, Paris) et des Matériologies débutées en décembre 1959. Les Matériologies sont réalisées avec les matériaux les plus travaillés (pâtes plastiques, papier mâché, morceaux froissés de feuille d’aluminium, grains de mica concassé).

 

La galerie Cordier achète un appartement rue de Duras pour y installer le secrétariat de Dubuffet, destiné à le libérer de toutes relations avec les critiques, les marchands, etc. Y est également effectué la constitution d’un appareil documentaire sur ses œuvres, qui va aboutir au catalogue raisonné établi par Max Loreau sous forme de fascicules édités par Jean-Jacques Pauvert – vingt-huit au total entre 1962 et 1978. Son travail fait l’objet d’une grande rétrospective au musée des Arts décoratifs conçue par François Mathey, quatre cents œuvres y sont rassemblées.

Avec Asger Jorn, l’un des fondateurs du groupe CoBrA, il se livre en 1961 à des expériences musicales. L’artiste danois joue du violon et de la trompette, Dubuffet du piano. Par la suite, Dubuffet poursuit seul ces expériences. Il achète d’autres instruments sans savoir en jouer les utilisant à sa façon. Ces pratiques donnent lieu à l’édition de disques par le marchand d’art milanais Carlo Cardazzo.  La même année, s’ouvre le cycle Paris circus qui constitue le retour de l’artiste à des thèmes urbains (autobus, défilé de piétons et de voitures, vitrines de magasins) avec des couleurs vives, citons par exemple Rue passagère peuplée d’une foule de personnages colorés (Centre Georges Pompidou, musée national d’Art moderne/CCI, Paris). L’année suivante s’ouvre une rétrospective de son œuvre au MoMA, qui circule ensuite à Chicago et à Los Angeles. Sa collection de l’Art Brut est rapatriée de New York et installée à Paris, 137 rue de Sèvres. La collection est référencée et analysée dans les années suivantes et publiée dans 9 fascicules.

A l’été 1962 Dubuffet commence son cycle de peintures le plus célèbre, L’Hourloupe, autre forme de paysage mental. L’Hourloupe vient de dessins exécutés au stylo à bille rouge et bleu lors d’une conversation téléphonique, développé pendant une douzaine d’années en peinture, en sculpture jusqu’à l’architecture et encore au-delà avec l’introduction du mouvement réel.

 

 

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Sourire,1962, Fusain et papiers découpés, Lithographie originale en 5 couleurs sur Arches © ADAGP, Paris, 2024

Son nom découle de l’association dans l’esprit de Dubuffet de plusieurs assonances « “hurler”, “hululer”, “loup”, “Riquet à la Houppe” et le titre du livre de Maupassant Le Horla inspiré d’égarement mental[6] » comme le langage cellulaire caractéristique de L’Hourloupe. En 1964 un ensemble de ces œuvres est présenté au Palazzo Grassi à l’occasion de la Biennale de Venise. La même année Dubuffet abandonne la peinture à l’huile au profit de la peinture vinylique à laquelle il substitue dix plus tard la peinture acrylique.

Il amorce à l’été 1966 une longue et importante série de sculptures en polystyrène expansées peintes au vinyle. Son œuvre est saluée dans de grandes rétrospectives en Europe, à Londres (Tate Gallery) à Amsterdam (Stedelijk Museum), et aux Etats-Unis (Dallas, Minneapolis). Le Guggenheim de New York présente au cours de l’hiver l’exposition L’Hourloupe conçue par Lawrence Alloway, promoteur et défenseur du Pop Art.

L’année suivante, il entreprend la construction du Cabinet logologique, présenté à Chicago, Bâle et Paris. Il effectue une importante donation de cent-quatre-vingt œuvres au musée des Arts décoratifs. Les deux premiers volumes des écrits de l’artiste, Prospectus et tous écrits suivants, sont publiés aux éditions Gallimard (les tomes III et IV paraissent en 1995). Les écrits de Jean Dubuffet sont réunis et présentés par son ami Hubert Damisch. L’année suivante est également très riche en termes d’édition. Dubuffet publie Asphyxiante culture, dans lequel il fustige l’état culturel et ses valeurs (éditions Jean-Jacques Pauvert). L’artiste est au centre d’un numéro de l’Arc, « Dubuffet, Culture et subversion ». Les premiers Amoncellements en polystyrène voient le jour. Il expose pour la première fois à la Pace Gallery de New York (qui l’expose jusqu’à sa mort).

En 1969 David Rockefeller, président de la Chase Manhattan Bank, mécène et grand collectionneur, lui commande une sculpture monumentale pour la place située devant le nouveau siège de la banque à New York conçu par l’architecte Gordon Bunshaft. C’est dans ce même contexte qu’Alberto Giacometti a conçu en 1960 un ensemble de trois sculptures monumentales Grande femme debout, Tête de Diego et le célèbre Homme qui marche avant de se retirer du projet. Dubuffet effectue plusieurs maquettes dont celle de Groupe de 4 arbres, retenue pour la place. Il fait construire de grands ateliers à Périgny-sur-Yerres, près de Paris pour la réalisation de ses projets monumentaux. Jardin d’hiver (Centre Georges Pompidou, musée national d’Art moderne/CCI, Paris) est le premier agrandissement d’importance en 1970, suivi de celui de Groupe de 4 arbres pour New York. Une autre création gigantesque La Closerie Falbala à Périgny-sur-Yerres (1610 m2) est mise en chantier en 1970 (achevée en 1976). Au centre de la closerie se dresse la Villa Falbala, conçue pour protéger le Cabinet logologique, auquel on accède par l’Antichambre. La Closerie Falbala est classée monument historique en 1998.

 

En 1971 Dubuffet exécute une série de dessins pour Coucou bazar qui constitue la déclinaison mobile de L’Hourloupe, sous la forme d’un tableau animé. Sous-titré Bal de L’Hourloupe ou Bal des Leurres, Coucou Bazar se compose de Praticables (découpes peintes mobiles) et de Costumes portés par des danseurs. L’ensemble crée une suite de combinaisons dont les différents plans se mettent en mouvement. Les premières représentations accompagnent la rétrospective de son œuvre au Guggenheim de New York en 1973, qui est ensuite présentée à Paris au Grand Palais avec une seconde version du spectacle. L’Homme du commun à l’ouvrage est publié aux éditions Gallimard, paraît également La Botte à nique, édité par Albert Skira ainsi qu’un Cahier de l’Herne consacré à l’artiste. Fin 1974, la Fondation Dubuffet, créée l’année précédente, est reconnue d’utilité publique. De nouvelles séries voient le jour les Paysages Castillans, les Sites tricolores qui marquent la fin du cycle de l’Hourloupe. Puis en 1975-1976, d’autres encore les Mondanités, les Effigies incertaines, les Lieux abrégés, ainsi que les Théâtres de mémoire, grands assemblages par collage de morceaux prélevés dans des dessins ou des toiles. Dubuffet y rapproche des scènes et des motifs sans lien de continuité les unes avec les autres – « rapprochement brusqué dans une même image de scènes éloignées les unes des autres dans l’espace et dans le temps[7] ». Les collections de l’Art brut et les archives s’y rapportant sont transférées à Lausanne au château de Beaulieu pour y être présentées au public de façon permanente (ayant fait l’objet d’une donation à la ville).

Au cours des années suivantes il poursuit les Théâtres de mémoire et exécute d’autres séries selon le même principe en dessin et en peinture autrement dit sans recourir à la technique du collage : les gouaches Brefs exercices d’école journalière (1979) ; la série peinte des Partitions qui maintiennent le caractère plurifocal des Théâtres de mémoire (1980) ; les Psycho-sites de format plus petit (1981).

 

Pour son quatre-vingtième anniversaire le Guggenheim Museum à New York et le Centre Georges Pompidou, musée national d’Art moderne à Paris, lui consacrent chacun une exposition. Ses dernières séries sont en 1982 les Sites aléatoires, dans lesquels réapparaissent les collages et à partir de février 1983 les Mires peintures ayant pour origine des « crayonnages ». Les personnages ont déserté. Le titre Mire renvoie au terme considéré « dans le sens de focalisation du regard sur un point d’un continuum illimité ». Une trentaine de Mire est présentée dans le pavillon français de la Biennale de Venise en 1984. Enfin la même année, il peint sa dernière série les Non-lieux, la plupart sur fond noir, qui l’occupe jusqu’en décembre. L’année suivante, le site pour la Tour aux figures est choisi dans l’île Saint-Germain à Issy-les-Moulineaux.

Au cours de l’hiver il dessine et écrit dans l’urgence, et en un peu plus d’un mois seulement, sa Biographie au pas de course.

Jean Dubuffet s’éteint à Paris le 12 mai 1985.

 

 

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Faits, mémorables I, 1978, Sérigraphie originale en couleurs (62 passages), sur papier Arches © ADAGP, Paris, 2024.

Jean Dubuffet graveur

 

Jean Dubuffet est l’auteur de plus de 550 lithographies, une soixantaine de gravures, environ 50 sérigraphies, et 37 livres illustrés. Le catalogue raisonné de son œuvre en estampe a été réalisé par Sophie Webel en 1991.

Les premières gravures réalisées par Jean Dubuffet sont sur bois en 1921 pour illustrer des poèmes de Roger Vitrac. A l’automne 1944 il exécute ses premières lithographies dans l’atelier de Fernand Mourlot. Dubuffet s’adonne à cette activité avec passion. L’imprimeur rassemble les épreuves dans un album en demandant à Francis Ponge d’écrire un texte, Matière et Mémoire ou les lithographes à l’école, publié en 1945. Celui-ci souligne que Dubuffet crée sur la parfaite surface grainée, des accidents, des effets de matière dont la lithographie n’avait jusqu’alors jamais connu d’exemple et qui ouvre au noir uniforme de l’encre lithographique tout un registre de nuances inespérées. Cette approche nouvelle de la lithographie annonce aussi son intérêt naissant pour les matières minérales qui sont l’un des socles de ses créations suivantes de Mirobolus, Macadam & Cie aux Matériologies. Il se concentre sur le jeu des textures.

En 1948 les Gravures en l’honneur de l’art brut révèlent un nouvel aspect de l’art de Jean Dubuffet : 27 gravures sur lino ou sur d’autres supports improbables (fond de boîte de cigares, fond de boîte de camembert) imprimées sur papier journal. Ler dla canpana, son premier texte écrit en jargon et calligraphié par l’artiste, est composé de cette typologie de gravures.

Il revient l’année suivante à la lithographie avec la série des Corps de dame. En 1949 toujours, il calligraphie et orne de dessins La Métromanie ou les dessous de la capitale de Jean Paulhan (Paris, Edmond et Jacques Desjobert), puis en 1950 la série Incursion de la botanique dans la lithographie (27 lithographies en noir), et les Reports d’assemblages et planches diverses. Dès 1953, Dubuffet empreinte sur du papier report des éléments végétaux ; il se sert de ces travaux pour réaliser des assemblages d’empreintes. « Dans les premiers mois de 1958 prit naissance à Paris un cycle abondant de travaux lithographiques […]. Le but visé était de constituer des assemblages analogues à ceux qui formaient mes tableaux mais reportés d’une seule venue[8]. » C’est le début de la foisonnante série des Phénomènes avec plus de quatre cents lithographies dans la continuité des reports d’assemblages – qui sont des empreintes de matières de toutes sortes, réunies en vingt-deux albums tels que L’Élémentaire ; La Terre et l’eau ; Théâtre du sol ; Eaux, Pierres, Sable. Dubuffet en réalise les premières lithographies dans l’imprimerie de Mourlot et celle de Desjobert avant d’aménager sa propre imprimerie rue de Rennes entièrement dédiée à son projet et une autre à Vence dans la même intention. « L’idée d’une carrière de peintre fondée exclusivement sur des prises d’empreintes ou triturations sommaires de plaques encrées »[9], sans donc l’emploi du crayon ni du pinceau, lui plaisait énormément. Très rapidement, Dubuffet voit dans cette entreprise l’inventaire de tous les phénomènes physiques. De là naissent les treize albums de planches tirées en noir qui sont comme un dictionnaire de la Texturologie (I à XIII) ; suivis des expériences de superpositions en couleurs des planches de base, réunies en neuf albums en couleurs (I à IX).  En parallèle quatre planches de la série Les Barbes accompagnent le poème composé et calligraphié par l’artiste La Fleur de barbe (1960). Dubuffet clôt le vaste ensemble des Phénomènes en 1962. Il exécute une autre petite série d’une vingtaine de lithographies, reports d’assemblages, entre 1961 et 1964. En 1964 l’activité de l’imprimerie de la rue de Rennes cesse.

 

Jean Dubuffet s’est beaucoup aventuré dans le domaine du livre d’artiste.

Il illustre des textes écrits par d’autres, qu’il calligraphie le plus souvent, comme Pierre-André Benoît (Oreilles gardées, Alès, P.A.B., 1962), Kay Sage (Mordicus, Alès, P.A.B., 1962), Jean-Luc Parant (Les yeux CIII CXXV, Montpellier, Fata Morgana, 1976).

L’artiste met également en page ses propres écritures calligraphiées et accompagnées d’illustrations ainsi La Lunette farcie (Paris, 1963), Couinque (Alès, P.A.B, 1963), L’Hourloupe (Paris, Noël Arnaud, 1963), Trémolo sur l’œil (Gaston Puel, Veilhes, 1963), La botte à nique (Genève, Skira, 1973), Bonpiet beau neuille (Paris, Jeanne Bucher, 1983) ; Oriflammes (Marseille, Ryôan-Ji, 1984).

Il compose des cartes à jouer dans le langage cellulaire de l’hourloupe, Banque de l’Hourloupe (Londres, édition Alecto, 1967) et Algèbre de l’Hourloupe (Bâle, éd. Beyeler et Paris, Jeanne Bucher, 1968). Sans oublier les albums d’œuvres graphiques Parade funèbre pour Charles Estienne (Paris, Jeanne Bucher, 1967) ; Présence fugace (New York, Pace, 1973), Fables (New York, Pace, 1976) ; Conjectures (chez l’auteur, 1983).

[1] Jean Dubuffet, Biographie au pas de course, Paris, Gallimard, Les Cahiers de la NRF, 2001, p. 47.

[2] Ibid., p. 53.

[3] Gaëtan Picon, Le Travail de Jean Dubuffet, Genève, Skira, 1973, p. 54.

[4] Jean Dubuffet, Biographie au pas de course, op. cit., p. 59.

[5] Ibid., p. 74.

[6] Ibid., p. 83.

[7] Ibid. p. 122.

[1] Jean Dubuffet, Biographie au pas de course, Paris, Gallimard, Les Cahiers de la NRF, 2001, p. 75.

[2] Jean Dubuffet, « Notes sur les lithographies par reports d’assemblages et sur la suite des Phénomènes », 1962 dans Sophie Webel, Jean Dubuffet. Catalogue raisonné de l’œuvre gravé, vol. I Paris, Baudoin Lebon éditeur, 1991, p. 131.

 

 

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