CHU TEH-CHUN
(1920-2014)
Chu Teh-Chun naît en Chine dans la province de Anhui (autrefois le Jiangsu) en 1920. Son père et son grand-père, médecins traditionnels, collectionnent la peinture chinoise. Chu apprend très tôt la calligraphie et la poésie classique chinoise. A 15 ans, en 1935, il entre à l’Académie des Beaux-Arts de Hangzhou, où est dispensé un enseignement considéré comme avant-gardiste. Les professeurs, dont le directeur, le peintre Lin Fengmian ont étudié à l’École des Beaux-Arts de Paris. Paris est alors l’un des foyers de la modernité. Chu découvre la peinture occidentale dont il apprend les techniques et en parallèle la peinture traditionnelle chinoise.
En 1937, au début de la guerre sino-japonaise, Chu quitte Hangzhou, avec l’Académie des Beaux-Arts, pour Chongqing à l’Ouest, qui devient temporairement la capitale et concentre les intellectuels, les universités et grandes écoles. Chu est diplômé en 1941. Il devient professeur assistant à l’Académie nationale des Beaux-Arts qui réunit alors les Académies de Pékin et de Hangzhou. La peinture de Chu est à cette époque sous l’emprise de Paul Cézanne, d’André Derain et d’Henri Matisse.
En 1949, quelques mois après la proclamation de la république populaire de Chine, Chu, sa femme Liu et leur fille Kate s’installent à Taipei. Chu enseigne la peinture occidentale à l’université normale nationale de Taïwan. Le succès de sa première exposition personnelle à Taipei en 1954 lui permet de financer ses premières années parisiennes à partir du printemps 1955. La découverte de la peinture de Nicolas de Staël dans la rétrospective que lui consacre le musée d’Art moderne en 1956 marque un tournant dans l’œuvre de Chu en modifiant sa recherche de la figuration vers l’abstraction. La peinture abstraite domine alors la scène artistique internationale avec l’art informel en Europe et l’expressionnisme abstrait aux Etats-Unis. Ce sont en France les débuts de Pierre Soulages, Hans Hartung, Georges Mathieu notamment et de l’autre côté de l’Atlantique l’on peut citer Mark Rothko, Franz Kline par exemple. Chu se détourne rapidement des empâtements de la peinture de Nicolas de Staël. En revanche il a bel et bien trouvé son chemin dans la voix de l’abstraction.
La singularité de sa peinture se situe dans sa double origine extrême-orientale et occidentale. L’œuvre de Chu est en effet nourrie de la tradition de la peinture et de la calligraphie chinoises et de celle de la peinture occidentale. La profondeur, les effets de transparence, de flou et de vibrations, les couleurs partagées entre ombre et lumière, une gestualité tout intérieure que l’on devine venir de temporalités et de sentiments différents sont autant d’aspects caractérisant son langage. L’inspiration de l’artiste reste très liée à la nature et aux paysages, ceux de Chine en particulier.
Composition, lithographie originale en couleur ©ADAGP, Paris, 2024
Après plusieurs années sous contrat avec la galerie Legendre à Paris, en 1965 il choisit de rester indépendant. En 1969 il représente la Chine à la Biennale de Sao Paulo au Brésil. Dans les années 1970 il revient à la calligraphie l’un des fondamentaux de la culture chinoise, pratiquée dans sa jeunesse.Il se rend en Chine en 1983, invité comme jury par l’université de Hong Kong puis par l’Association des Artistes de Chine. Il n’y était pas retourné depuis 35 ans. Il voyage dans les Montagnes Jaunes, sujet millénaire de la peinture chinoise, et combien inspirant. Le milieu des années 1980 inaugure la création de peintures d’immenses formats.
En 1985 l’observation d’une tempête de neige à Genève lui inspire un cycle de Neiges recouvertes d’une projection de gouttes de peinture blanche. Ces drippings et leurs grands formats ne sont pas sans rappeler ceux de Pollock.
Il est invité à Taïwan en 1986. L’année suivante le musée national d’Histoire de Taipei lui consacre une première rétrospective. Suivie d’une exposition itinérante en 1988 et 1989.
Au début de la décennie suivante il emménage dans une maison à Vitry-sur-Seine où il dispose d’un vaste atelier pour réaliser ses tableaux de très grandes dimensions. Les expositions se succèdent en France, en Europe, à Taïwan.
Pierre Cabanne signe une monographie consacrée à son œuvre publiée en 1993 aux éditions Cercle d’art. Chu voyage de nouveau en Chine en 1994 à Pékin puis à la découverte de nouveaux paysages qui vont nourrir son inspiration. Les expositions se succèdent en Europe, en Chine à Taïwan. Reconnaissance insigne de son travail, Chu est élu à l’Académie des Beaux-Arts en décembre 1997. Il est le premier membre d’origine chinoise à y entrer.
En 2002 l’opéra de Shanghai lui commande une grande décoration. Symphonie festive, est présentée à l’opéra Garnier à Paris avant son départ pour Shanghai où elle est inaugurée fin août 2003. Autre réalisation monumentale mais d’une toute autre envergure, entre 2007 et 2009 Chu entame une collaboration avec la Manufacture national de Céramique de Sèvres, à l’invitation de celle-ci. Chu décore 56 vases en porcelaine du modèle SR 22 créé par Émile Decœur au XXe siècle.
Prolongeant la rencontre entre le savoir-faire de la grande tradition française et l’art contemporain d’autres artistes nombreux se sont également livrés à l’exercice, notamment Pierre Alechinsky, Zao Wou-Ki, Pierre Soulages, Lee Ufan, Giuseppe Penone, Olivier Debré, etc. Pour la plus grande majorité des vases, Chu limite sa palette au blanc de la porcelaine, au bleu de cobalt et à l’or pur. Le choix de ces trois couleurs renvoie à une porcelaine historique – le bleu et blanc de la porcelaine chinoise millénaire, l’or celle des cours européennes –, tandis que le décor des vases est pleinement contemporain. Les 56 vases sont présentés à Paris au musée national des Arts asiatiques Guimet : De neige, d’or et d’azur. Chu Teh-Chun et la manufacture de Sèvres, à l’été 2009.
L’artiste s’éteint en mars 2014.
Une grande rétrospective s’est tenue à Venise à la Fondazione Giorgio Cini sur l’île de San Giorgio Maggiore au printemps 2024, Chu Teh-Chun, In Nebula.
Vase D2, 2002, céramique © ADAGP, Paris, 2024.