Olivier Debré
(1920-1999)
« De la densité à la transparence, de la pâte à la matière fluide, de la verticale des signes-personnages à l’horizontale des signes-paysages, pour arriver à la somptueuse explosion des signes-espaces, toute la démarche picturale de Debré va ainsi de la matière à l’ineffable, de la force contenue à la délicatesse du paysage mental. »[1]
Olivier Debré est un peintre français né en 1920. Il dessine et peint dès l’enfance. « J’ai, tout enfant, toujours peint, toujours sculpté. Cela me paraissait mon mode d’expression naturel. J’étais à l’aise. »[2] En 1938 il entre à l’École des Beaux-Arts dans la section architecture, dans l’atelier de son oncle maternel Jacques Debat-Ponsan. Pendant la guerre, au début des années 1940, dans le berceau familial en Touraine il est rattrapé par la peinture. « Pendant cette période troublée de la guerre, j’étais là, dans cette Touraine où j’étais toujours allé quand j’étais enfant, et je suis redescendu dans le champ et j’ai peint, simplement, comme ça. En peinture, j’avais un besoin d’expression directe et de communication physique avec la nature »[3].
Debré expose pour la première fois en 1941. Quelques-unes de ses peintures, encore figuratives, sont présentées dans la galerie tenue par Georges Aubry (Pierre Loeb lui a cédé la gestion de sa galerie pour éviter qu’elle ne tombe sous administration aryenne). Sa peinture se situe alors dans le sillage de l’impressionnisme. Elle est remarquée par Picasso dont il visite à plusieurs reprises l’atelier en 1942-1943. Au cours de cet hiver son travail s’éloigne de la représentation de la réalité tangible. Il développe une peinture non figurative fondée sur l’émotion en étroite connexion avec la nature.
La galerie Bing lui offre en juin 1949 sa première exposition personnelle. Durant les mêmes années il rencontre d’autres peintres de l’abstraction lyrique Pierre Soulages, Hans Hartung, Gérard Schneider, etc. Il commence à exposer dans les Salons. Au début des années 1950 au Salon de Mai, créé par Gaston Diehl, auquel il est fidèle tout au long de sa carrière, au Salon des Réalités nouvelles. Sa peinture gagne en matière. L’artiste travaille au couteau construisant ses œuvres avec de larges empâtements qui créent une surface maçonnée. C’est l’époque de ses Signes-personnages, verticaux. A peu près à la même époque Nicolas de Staël travaille aussi très en matière.
En 1959 il expose pour la première fois aux Etats-Unis en à la Phillips Gallery de Washington et aux Knoedler Galleries de New York. Sur place, il rencontre certains acteurs de l’expressionnisme abstrait comme Mark Rothko, Franz Kline et Jules Olitski, représentants de la Color-Field painting. Il retourne à New York en 1963 à l’occasion de la double exposition que lui consacre la galerie Knoedler (Paris et New York). Le texte des catalogues est signé Francis Ponge.
L’œuvre de Debré revêt sa physionomie définitive dans les années 1960. Au début de la décennie le paysage devient son sujet privilégié. Il travaille le plus souvent à l’extérieur directement au contact de la nature, en pleine immersion. Les paysages de Debré sont ceux rencontrés au cours de ses voyages, et ceux plus familiers dans la proximité de ses ateliers : celui des « Madères » en Touraine à Vernou-sur-Brenne, près de Tours, celui au bord de la Méditerranée, aux Salins, une plage boisée près de Saint-Tropez, celui encore de Saint-Georges-de-Didonne, près de Royan, au bord de l’estuaire de la Gironde où il crée plus de deux-cents toiles en quasiment trente ans. L’expression de son émotion se traduit par de larges champs de couleurs d’une matière fluide, légère, créant les transparences. En contrepoint, à certains endroits de la périphérie de la toile se trouvent des amas de matière. Ce sont les Signes-paysages, horizontaux, reflet exact de l’émotion ressentie au cours de sa communion avec la nature. La découverte de l’univers fondamentalement pictural de l’œuvre d’Henri Matisse le marque fortement. Ils partagent la création par la couleur d’un sentiment d’espace infini indépendamment des dimensions réelles de la toile. Au cours de la même décennie, majeure, il aborde la sculpture. Il conçoit des Signes-personnages d’abord de petite taille puis plus grands jusqu’aux réalisations monumentales à destination publique.
Vase 2, céramique © ADAGP, Paris, 2024.
La première rétrospective de son œuvre dans un musée français se déroule en 1966 au musée des Beaux-Arts du Havre : Olivier Debré. Peintures 1943-1966. Debré est alors de plus en plus sollicité. Il reçoit de nombreuses commandes monumentales. En 1979, il est nommé chef d’atelier d’art mural à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts, fonction qu’il occupe jusqu’en 1985. Ses œuvres se déploient dans des formats de plus en plus monumentaux et sa matière gagne encore en fluidité et en transparences. Parmi ses réalisations les plus célèbres de grande ampleur citons le rideau de scène de la Comédie-Française, résultat d’une commande publique à l’initiative de Jack Lang en 1985. La question de son geste se pose en proportion d’une aussi grande surface à peindre. Il doit agrandir son geste au-delà des possibilités de son propre corps. Muni d’un long balai chargé de couleur en prolongement de son bras, il peint en se déplaçant sur la toile même. Il crée ensuite, en 1989 et en 1998, les rideaux de scène de l’Opéra de Hong Kong et celui du Grand théâtre de Shanghai, tous deux d’une superficie encore plus vaste. Autre création d’envergure de cet artiste total : les décors en sept tableaux pour le ballet de Carolyn Carlson Signes sur une musique de René Aubry. Debré en conçoit aussi les costumes. Contrairement à la pratique habituelle ce sont les décors qui ont inspiré la chorégraphie. Le ballet est créé à l’opéra de Paris en 1997. Présenté à plusieurs reprises par la suite il l’a encore été à l’été 2023.
Son œuvre est encore saluée en 1995 par une rétrospective d’envergure, organisée par Daniel Abadie à la Galerie nationale du Jeu de Paume à Paris. L’artiste s’éteint en 1999.
A la suite d’une donation d’œuvres de Debré par ses héritiers le Centre de Création contemporaine de Tours devient le Centre de Création contemporaine Olivier Debré.
Olivier a une œuvre gravée assez abondante qui se déploie sur plus de quarante ans, entre 1949 et le début des années 1990. En noir et en couleurs, il a pratiqué l’eau-forte, la pointe sèche, l’aquatinte, la lithographie et la sérigraphie. En termes d’iconographie son œuvre gravée, toutes techniques confondues, suit le même développement que sa peinture. Ses premières gravures, environ soixante-dix, à la pointe sèche et/ou à l’eau-forte, s’articulent autour de sujets réalistes. Puis vers 1951, apparait un langage de signes avec les Signes-personnages exécutés à l’eau-forte et pointe sèche, puis en 1958-1959 à l’aquatinte, technique au rendu plus pictural. Viennent ensuite les Signes-paysages en 1970, eau-forte et/ou aquatinte. Hormis quelques unités précédemment, les premières lithographies voient le jour vers la fin des années 1950, avec les Signes-personnages. Ce sont des lithographies en noir. La couleur apparait au début de la décennie suivante, en même temps que les Signes-paysages. Elle domine largement sa production par la suite. Esthétiquement, les lithographies et les sérigraphies sont très proches parentes de sa peinture.
Debré a également réalisé des estampes d’illustration notamment pour des textes de Bernard Noël, Michel Butor, Pierre Torreilles.
Encre de Chine 2, 1988, Encre de Chine sur papier © ADAGP, Paris, 2024.