La Montagne et la Mouche

L’ébéniste Francis Ballu obtient le premier prix au concours des meilleurs ouvriers de France en 1979. Polyvalent, il est aussi sculpteur, graveur, poète. En 1980, avec Rémi Colmet Daâge, architecte et Martin Spreng, ébéniste, il fonde le groupe Xylos. En 1998, Xylos rejoint la prestigieuse association des Grands Ateliers de France. Le groupe bénéficie rapidement d’une belle renommée qui lui permet de multiplier les commandes publiques et privées.

La démarche de ces créateurs passionnés s’inscrit dans la tradition du mouvement Arts & Crafts, créé en Angleterre au milieu du XIXe siècle par William Morris qui, alors que l’industrialisation est en plein essor, défend l’alliance du beau et de l’utile, les savoirs faire traditionnels et surtout leur implication dans la création du mobilier et des objets du quotidien. Les réalisations du groupe Xylos, mêlent de même l’art et la vie.

Ce sont les sculptures fonctionnelles, les sculptures-meubles qui intéressent Francis Ballu dans le groupe. Elles sont toujours énigmatiques : La Boule (1998) se découvre un bar, ou une cave à cigares, les voiles de bateaux en régates (2006) servent de bancs dans le jardin du Chemin de l’Ile, les Totems–sièges (1996), etc. Elles possèdent un caractère inattendu, magique et insolite, qui tient à leur part secrète. En effet, certaines d’entre elles ne laissent pas soupçonner leur fonction, ainsi la sculpture abstraite presque cubisante, Le Poids de l’écriture (2003), dévoile son identité d’écritoire.

Leurs créations sont sophistiquées, savamment pensées. Elles sont conçues d’essences de bois et de technologies innovantes. Ce qui les intéresse avant tout est de combiner des matières différentes. Ils travaillent en majorité le bois et la résine à laquelle ils donnent l’apparence de la pierre. L’illusion des matériaux est caractéristique de leur travail. Les œuvres sont profondément ancrées dans un dialogue avec la nature qui s’articule autour du lien entre le minéral et le végétal.

Après une collaboration d’une trentaine d’années les chemins des protagonistes du groupe Xylos se séparent. Francis Ballu poursuit son activité créatrice dans la continuité des problématiques qui ont toujours été les siennes, qui sont en quelque sorte son ADN. S’il est de plus en plus intéressé par la sculpture « pure », il reste fondamentalement passionné par la dimension fonctionnelle de la sculpture. Il travaille aujourd’hui avec Julien Tillie, son bras droit, et Etienne de Saint Exupéry – mécanicien remarquable – qui conçoit, en collaboration, la part mécanique des mouvements. Depuis une dizaine d’années, Francis Ballu crée des sculptures, nommées Gmites, qui soutiennent les branches du cèdre bleu pleureur, joyau de l’arboretum du parc départemental de la Vallée-aux-Loups dans les Hauts-de-Seine. Cette œuvre se développe et grandit au rythme de la nature. Les sculptures sont des éléments vivants en symbiose avec l’arbre. Elles font corps avec lui.

La galerie de l’Institut présente à partir du 3 juin une exposition consacrée à sa dernière création, intitulée La Montagne et la Mouche ; titre binaire qui résume merveilleusement sa recherche. L’œuvre est une sculpture. Elle évoque une montagne. La sculpture s’ouvre et révèle alors sa part de mystère, de surprise, d’insolite. Elle déploie un atelier pour fabriquer des mouches de pêche qui se compose d’un établi, d’un étau et d’un ensemble de tiroirs destinés au rangement des matériaux nécessaires à la confection de ces appâts. Cette extraordinaire création de passionné nous présente des effets de minéraux et des effets de pétrifications minérales qui témoignent d’une grande sensibilité à la matière. La Montagne et la Mouche est accompagnée dans l’exposition d’un grand décor mural, sur le thème de la glaciation, dont la fonctionnalité est à découvrir, qui s’intitule Le Glacier.

Anne Coron, en collaboration avec Francis Ballu