Matisse est originaire du Nord de la France, d’une région de grande tradition textile.

Il naît au Cateau-Cambrésis le 31 décembre 1869. Après des études de droit, il travaille comme clerc d’avoué. En 1890, convalescent à la suite d’une opération de l’appendicite, sa mère lui offre une boîte de peinture. Cet épisode détermine le changement d’orientation radical de sa carrière. L’année suivante, il abandonne le droit pour se consacrer à la peinture.  Il s’installe à Paris et s’inscrit à l’académie Julian dans l’atelier de William Bouguereau, qu’il quitte rapidement pour l’Ecole des Beaux-Arts. Il échoue au concours d’entrée. Le peintre Gustave Moreau l’accepte comme élève libre dans l’atelier qu’il y dirige, souvent désigné comme le berceau de la peinture fauve. Matisse y rencontre notamment Henri Evenepoël, Henri Manguin, Albert Marquet, Georges Rouault. Sa fille Marguerite naît en 1894. L’année suivante Matisse est officiellement admis à l’Ecole des Beaux-Arts dans l’atelier de Gustave Moreau. De 1895 à 1897, il passe chaque été en Bretagne, à Belle-île. Sa palette gagne en couleurs et en lumière. Il épouse Amélie Parayre en 1898. Les jeunes mariés se rendent à Londres en voyage de noces, où Matisse découvre la peinture de Turner, puis le couple séjourne plusieurs mois en Corse et à Toulouse. Ajaccio produit en lui un « grand émerveillement pour le Sud » : la végétation généreuse, la lumière et les couleurs. Sa peinture s’enrichit de tonalités plus chaudes. L’Essai de Paul Signac, D’Eugène Delacroix au néo-impressionnisme, qui paraît en 1898, l’incite sans doute à pratiquer la division de la touche.

Son fils, Jean, naît en janvier 1899. Lorsqu’il rentre à Paris, Gustave Moreau est mort. Son remplaçant à l’école des Beaux-Arts, Ferdinand Cormon, l’invite à quitter l’atelier. Matisse s’inscrit alors dans diverses académies : Julian, Colarossi, Camillo. Dans cette dernière, où Eugène Carrière vient corriger, il rencontre André Derain. Il suit aussi un temps l’enseignement d’Antoine Bourdelle, à l’Académie de la Grande Chaumière ; rapidement il lui préfère l’école municipale de la rue Etienne-Marcel. Il y entreprend Jaguar dévorant un lièvre d’après Barye.

Naissance de Pierre, son second fils, en juin 1900. Matisse réalise sa première gravure, à la pointe-sèche, Autoportrait gravant.

En mai 1901, il retourne à Bohain auprès de sa famille où les conditions de vie sont moins difficiles. A partir de 1904 sa situation s’améliore. Ambroise Vollard organise la première exposition entièrement consacrée à son travail en juin. Il passe l’été à Saint-Tropez auprès de Paul Signac et d’Henri-Edmond Cross ; Matisse s’essaie aux principes néo-impressionnistes. Selon cette manière, il peint notamment le célèbre Luxe, calme et volupté (Paris, Musée national d’Art moderne, Centre Pompidou, en dépôt au musée d’Orsay), présenté au printemps 1905 au Salon des Indépendants et acheté par Signac. A l’été 1905, l’artiste séjourne à Collioure, où Derain le rejoint. Stimulés par l’intensité de la lumière, ils exacerbent leurs couleurs, qu’ils comparent à des « cartouches de dynamite ». Ils présentent une partie de leurs créations de l’été au Salon d’Automne, dans la fameuse salle VII, nommée « cage aux fauves » par le critique Louis Vauxcelles ; qui donne son nom au fauvisme. Matisse peint Le Bonheur de vivre (Merion, Pennsylvanie, Fondation Barnes) présenté au printemps au Salon des Indépendants, immédiatement acheté par Gertrude Stein, et son frère Léo. Jusqu’en 1914, leur domicile de la rue de Fleurus, est un lieu de rencontre essentiel pour les artistes de l’avant-garde. Matisse et Picasso s’y rencontrent en 1906. La découverte par Picasso du Bonheur de vivre marque le début de leur rivalité-dialogue artistique. Picasso répond au tableau de Matisse l’année suivante avec Les Demoiselles d’Avignon (New York, MoMA). L’artiste voyage en Algérie à Biskra d’où il rapporte des tissus et des céramiques. Il peint Nu Bleu souvenir de Biskra (Baltimore) présenté au Salon des Indépendants de 1907.

 

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Le Cirque, in Jazz, épreuve du bon à tirer, 1946 © Succession H. Matisse

L’année suivante, il s’installe 33 boulevard des Invalides. Sous l’impulsion de jeunes admirateurs il crée une académie. Un ensemble important de ses œuvres – trente peintures, de nombreuses sculptures et dessins – est exposé au Salon d’Automne de 1908. Son œuvre commence à bénéficier d’une visibilité plus internationale : Alfred Stieglitz l’expose à New York dans sa galerie 291 ; Paul Cassirer à Berlin. Matisse reçoit du collectionneur russe Sergeï Chtchoukine ses premières commandes, notamment une décoration pour sa salle à manger : La Desserte rouge (Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage). Chtchoukine est une personnalité centrale dans l’œuvre de Matisse. Ses commandes contribuent à l’inflexion de son esthétique de la peinture de chevalet vers la peinture décorative. Matisse publie en décembre « Notes d’un peintre » dans La Grande Revue où il expose les principes de son art. L’année suivante, Chtchoukine lui commande une grande décoration pour l’escalier de sa demeure moscovite. Pour sa réalisation, Matisse s’installe à Issy-les-Moulineaux où il s’aménage un grand atelier. Il réalise le bas-relief Dos I (suivi du Dos II en 1913 ; du Dos III en 1916-1917 ; enfin du Dos IV en 1930).

Il signe en septembre 1909 son premier contrat avec la galerie Bernheim-Jeune à Paris qui lui consacre une rétrospective l’année suivante. Les grandes décorations pour Chtchoukine La Danse et La Musique suscitent le scandale au Salon d’Automne de 1910. L’artiste visite à Munich avec Hans Purrmann la grande exposition d’art musulman qui confirme son intérêt pour l’art islamique ; dans le prolongement en novembre il voyage en Espagne (Grenade, l’Alhambra, Cordoue et Séville) jusqu’à fin janvier 1911. 1911 est pour Matisse une grande année de peinture. Elle voit naître les « Intérieurs symphoniques », selon l’expression d’Alfred H. Barr, que sont L’Atelier rose (Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage), L’Atelier rouge (New York, MoMA), La Famille du peintre (Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage), Intérieur aux aubergines (musée de Grenoble). Il fait un voyage au Maroc, à Tanger fin janvier – avril 1912, suivi d’un second après l’été de fin octobre à mi-février 1913. Les tableaux de ce séjour sont présentés à la galerie Bernheim-Jeune la même année. S’ouvre alors la période « expérimentale » de Matisse qui se prolonge jusqu’en 1917.

Les années 1916-1917 sont celles de son installation à Nice et constituent une époque de transition vers la peinture des « odalisques », souvent considérée comme un recul en comparaison de la dimension expérimentale de sa peinture depuis 1905-1906. Les odalisques sont en réalité pour Matisse une autre manière de répondre aux problématiques que lui pose la peinture, notamment le rapport de la figure et du fond.

 

Les Codomas, in Jazz, épreuve du bon à tirer, 1946 © Succession H. Matisse

Au début de 1918, Paul Guillaume présente, dans la galerie qu’il vient d’ouvrir 108 rue du Faubourg-Saint-Honoré, la première exposition « Matisse Picasso » avec une quinzaine d’œuvres récentes de chacun. Les deux artistes seront réunis à plusieurs reprises par la suite. Près de dix ans après sa propre découverte des Ballets russes de Serge de Diaghilev, Matisse réalise à son tour les décors et les costumes d’un ballet de la compagnie, Le Chant du Rossignol avec une chorégraphie de Léonide Massine et une musique d’Igor Stravinsky. La première a lieu à Paris début février 1920. A l’automne, à Nice, Matisse commence à travailler d’après Henriette Darricarrère, qui devient son modèle de prédilection jusqu’à la fin de la décennie. L’artiste publie Henri Matisse, Cinquante dessins, avec une préface de Charles Vildrac. La même année paraît la première monographie consacrée à son œuvre établie par Marcel Sembat, le député socialiste, grand admirateur et collectionneur d’œuvres de Matisse. Marguerite épouse en 1923 le byzantiniste Georges Duthuit qui va développer une conception originale de l’œuvre de Matisse fondée sur une esthétique du décoratif en relation avec l’art oriental. Matisse débute en 1925 la série des Têtes d’Henriette en bronze qui s’échelonne jusqu’en 1929. Il obtient le prestigieux prix Carnegie en 1927 pour Compotier et vase de fleurs de 1925.

Au cours des années 1928-1929 Matisse traverse une crise assez vive en peinture qui succède au départ d’Henriette, son modèle pendant sept ans. Il a des difficultés à retrouver l’inspiration. Face à la toile il se sent dépourvu d’idées. De plus de l’extérieur, critiques et autres commentateurs, sa production d’alors est constamment réévaluée à la lumière de ses œuvres audacieuses antérieures à la période des odalisques. Ce qui constitue une forme de pression supplémentaire. En gravure en revanche son activité est dense, surtout en 1929. La situation de blocage de sa peinture l’incite à aller voir la qualité de la lumière dans l’autre hémisphère. Matisse choisit Tahiti. La coupure de ce voyage – de fin février jusqu’à fin juillet 1930 –, avec une escale à New York, suivie de la commande d’une grande décoration pour la Fondation Barnes aux Etats-Unis, contribuent à amorcer un nouveau départ.

En 1931, en même temps que son travail sur la décoration pour Albert Barnes, il exécute les eaux-fortes destinées à l’illustration des Poésies de Stéphane Mallarmé publiées par Albert Skira l’année suivante, juste après Les Métamorphoses d’Ovide illustrées par Picasso. A l’été, une grande exposition galerie Georges Petit révèle pour la première fois au public les odalisques. Tandis qu’à l’automne Alfred H. Barr le directeur du MoMA organise la plus ambitieuse rétrospective de son œuvre et publie dans le catalogue la traduction des « Notes d’un peintre », introduisant définitivement Matisse dans le paysage artistique américain. C’est à la fois la première rétrospective de l’œuvre de Matisse aux Etats-Unis et la première exposition du MoMA. 1931 est aussi l’année de l’ouverture de la galerie Pierre Matisse à New York qui a eu un rôle déterminant de « passeur » en présentant non seulement l’œuvre de son père aux Etats-Unis mais aussi des grands artistes fondateurs de la modernité (Georges Rouault, Joan Miró, Yves Tanguy, Alberto Giacometti, Jean Dubuffet, etc.). En 1932, une erreur de dimensions oblige Matisse à entreprendre une nouvelle version de La Danse pour Albert Barnes. Ce travail l’occupe toute l’année. Il engage une assistante, Lydia Delectorskaya, qui devient son modèle à partir de 1934. Elle figure dans des tableaux majeurs de ces années comme Le Rêve (Paris, Musée national d’Art moderne, Centre Pompidou) et Grand nu couché (Nu rose) de Baltimore qui marquent le retour de l’artiste à la peinture audacieuse d’avant les odalisques.

Il se rend à Merion en mai 1933 pour l’installation de La Danse à la Fondation Barnes. A son retour, il achève la version de la décoration aux dimensions erronées, acquise par la ville de Paris en janvier 1937, nommée pour cela La Danse de Paris (musée d’Art moderne de Paris). Au cours de ces années Matisse multiplie les projets décoratifs. Par l’intermédiaire de son fils Pierre, il rencontre en 1935 Marie Cuttoli à la recherche de nouveaux modèles pour relancer la production de tapisserie des ateliers d’Aubusson. Il exécute un carton Fenêtre à Tahiti suivi d’un second avec des couleurs en aplat pour faciliter la transposition en tapisserie. L’année suivante, il accepte de réaliser les décors, les costumes et le rideau de scène du ballet de Léonide Massine, L’Etrange Farandole (Rouge et Noir), composé sur la première symphonie de Chostakovitch. Il reprend pour le décor le principe des grands arceaux de La Danse de la Fondation Barnes et pour le rideau certaines des figures. Les études et recherches pour la composition du rideau sont parmi les premières compositions en gouache découpée créées par Matisse.

 

Le Cauchemar de l’éléphant blanc, in Jazz, épreuve du bon à tirer, 1946 © Succession H. Matisse

En janvier 1938, dans l’ancien hôtel Excelsior-Régina à Nice sur les hauteurs de Cimiez, il achète deux appartements mitoyens qu’il réunit. C’est son dernier domicile-atelier. Le deuxième grand texte de Matisse, « Notes d’un peintre sur son dessin », est publié en juillet 1939 dans la revue Le Point. A la fin de l’année, il commence La Blouse roumaine, achevée en avril l’année suivante (Paris, Musée national d’Art moderne, Centre Pompidou). Matisse passe la guerre en France, comme de nombreux artistes tels que Pierre Bonnard, Pablo Picasso, Georges Rouault. Il réside à Nice, puis à Vence. Début janvier 1941, il est opéré en urgence à Lyon d’une tumeur au duodénum. Sa convalescence est longue. Il ne regagne Nice que fin mai. L’opération a des conséquences essentielles sur sa pratique. Elle libère sa capacité à se laisser aller, à s’abandonner en confiance à sa propre sensibilité. Cela se matérialise d’abord dans son dessin à travers l’importante série des « Thèmes et Variations », en partie rassemblée dans le livre Henri Matisse, Dessins. Thèmes et Variations publié avec une préface de Louis Aragon, « Matisse-en-France », par Martin Fabiani en 1943. Matisse voit dans ces dessins, un « progrès considérable comme aisance, sensibilité librement exprimée ». Cette grande expérience en dessin a une place nodale. Elle irrigue son œuvre des années suivantes jusqu’à la fin de sa carrière. Il peint la célèbre Nature morte au magnolia (Paris, Musée national d’Art moderne, Centre Pompidou). En parallèle, il entreprend l’illustration d’un Florilège des Amours de Pierre de Ronsard qui suscite chez lui un engouement pour l’illustration de livres. Il multiplie alors les projets et les réalisations : Pasiphaé, Chant de Minos d’Henry de Montherlant, Les Poésies de Charles d’Orléans, Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire, Les Lettres de Marianna Alcaforado. Les années de la guerre sont aussi celles de la réalisation du livre Jazz, publié par Tériade, pour lequel Matisse conçoit des compositions en gouache découpée qui sont le point de départ du développement de cette pratique dans son œuvre. Le découpage dans la couleur avec des ciseaux est une façon de réunir, en un seul et même geste, le dessin la peinture, la sculpture. En avril-mai 1944 Amélie Matisse, la femme de l’artiste, et sa fille Marguerite sont arrêtées par la Gestapo pour faits de résistance. Juste après la guerre l’œuvre de Matisse bénéficie d’une forte actualité : une rétrospective au Salon d’Automne en 1945, après Picasso l’année précédente, une exposition Matisse Picasso au Victoria and Albert Museum de Londres, la parution en novembre du Verve « Henri Matisse De la Couleur » (vol. IV, n°13), qui révèle sa peinture des années de la guerre, une autre exposition de son travail récent à Galerie Maeght en décembre. La nouvelle jeunesse de son œuvre est saluée de toute part. Il exécute au cours de l’été 1946 sur les murs de l’une des pièces de l’appartement du boulevard Montparnasse Océanie, Le Ciel ; Océanie, La Mer, qui sont des réminiscences des sensations éprouvées lors de son séjour à Tahiti en 1930. Elles sont reproduites en sérigraphie sur lin et éditées par le fabricant textile Zika Ascher. Matisse compose sur le même thème deux cartons de tapisseries à la demande de la Manufacture des Gobelins Polynésie, Le Ciel ; Polynésie, La Mer. Ces réalisations sont les premières grandes décorations conçues en papier découpé. En 1946-1948 il réalise sa dernière grande saison de peinture avec la série des « Intérieurs de Vence » qui trouve son équivalent dans de grands dessins au pinceau à l’encre de Chine. En parallèle, il conçoit tout un ensemble de petites compositions en gouache découpée.

A sa parution, fin 1947, Jazz reçoit du public un accueil dithyrambique. L’année suivante, dans le contexte du renouveau de l’art sacré dont le Père Marie-Alain Couturier est l’un des principaux instigateurs, Matisse entreprend la décoration de la Chapelle du Rosaire des Dominicaines de Vence. Deux murs de vitraux dialoguent avec trois dessins au pinceau et à l’encre sur des panneaux de céramique Saint Dominique, La Vierge à l’Enfant, un Chemin de Croix. Matisse considère la Chapelle comme « son chef-d’œuvre ». A la suite du succès de la rétrospective du musée de Philadelphie au printemps 1948, Pierre Matisse présente dans sa galerie en février 1949 les dernières œuvres de son père. Peintures et grands dessins au pinceau à l’encre de Chine se partagent les cimaises avec les gouaches découpées de la même époque. L’exposition est présentée au cours de l’été au musée national d’Art moderne augmentée de livres illustrés, des tentures Océanie et des tapisseries Polynésie, sous le titre Henri Matisse. Œuvres récentes 1947-1948. Les dernières années de son œuvre sont consacrées aux grandes gouaches découpées et aux dessins au pinceau à l’encre de Chine comme les grands Acrobates de 1952. Après la chapelle de Vence, inaugurée en juin 1951, Matisse tend de plus en plus à la création de grands environnements La Perruche et la sirène (Amsterdam, Stedelijk Museum) et La Piscine (New York, MoMA) qui chronologiquement encadrent la série des nus bleus. Dans le même temps, par l’intermédiaire de son fils Pierre, il reçoit d’Amérique des commandes de vitraux et de céramiques dont il compose les maquettes en gouache découpée. Cette dernière partie de son œuvre est révélée après sa mort par le double volume de Verve, « Henri Matisse. Les dernière années 1950-1954 », publié en 1958 (n°35-36), dont il a conçu la couverture – célèbre couverture orange – et la maquette en 1954.

Matisse s’éteint à Nice le 3 novembre 1954. Il repose au cimetière de Cimiez.

Le Cheval, l’écuyère et le clown, in Jazz, épreuve du bon à tirer, 1946 © Succession H. Matisse

 

Matisse graveur

Matisse est l’auteur d’un ensemble d’estampes assez important composé de gravures autonomes et de gravures d’illustration. Son œuvre gravé couvre plusieurs procédés – la pointe-sèche, l’eau-forte, la gravure sur bois, la lithographie, la linogravure, l’aquatinte – et se déploie par périodes jusqu’en 1941. Il pratique la gravure au début du siècle, en 1900-1903 – sa première gravure, Autoportrait gravant, est une pointe-sèche en 1900, ensuite en 1913-1914, puis entre 1922 et 1929. Les années vingt constituent un des sommets de la création de l’artiste en lithographie avec notamment Grande odalisque en culotte bayadère de 1925, ou Nu au coussin bleu à côté d’une cheminée, de la même année. En 1931, avec les eaux-fortes pour l’illustration des Poésies de Stéphane Mallarmé (Albert Skira), la gravure connaît une recrudescence. Matisse exécute ses premières linogravures en 1938. Il reprend ce procédé pour illustrer Pasiphaé, Chant de Minos de Montherlant en 1942 (Martin Fabiani). Enfin, à partir de 1941, le rythme s’accélère avec les livres et les aquatintes. Comme Picasso vingt ans auparavant, c’est Roger Lacourière qui initie Matisse à l’aquatinte au sucre. Une nouvelle période s’ouvre alors en gravure de 1946 à 1952 avec une cinquantaine d’aquatintes qui font écho aux dessins de la même époque exécutés au gros pinceau chargé d’encre de Chine.

La gravure a plusieurs statuts dans l’œuvre de Matisse. Elle est un terrain d’expérimentations et de recherches ; un prolongement de son dessin ; un complément de ses autres moyens d’expression. Chez Matisse, le passage d’un procédé à un autre est fréquent, notamment lorsqu’il se trouve dans une impasse créatrice. Il poursuit alors sa recherche dans une autre technique.

Le catalogue raisonné des ouvrages illustrés compte cent trente-neuf numéros. Parmi ceux-ci, une dizaine sont des livres illustrés au sens matissien – l’on pourrait dire aussi des livres décorés selon l’expression suggérée par Raymond Escholier approuvée par l’artiste. Autrement dit, Matisse fait une distinction entre les ouvrages auxquels il a collaboré avec une ou plusieurs gravures sans autre implication, par exemple Ulysses de James Joyce (1935), et ceux qu’il a lui-même entièrement composés, qu’il désigne plus volontiers comme « ses » livres. Ils ont été exécutés pour la majorité dans un de temps très resserré entre 1941 et 1948. L’illustration des Poésies de Stéphane Mallarmé, « mon premier livre » écrit l’artiste dans « Comment j’ai fait mes livres » (publié dans l’Anthologie du livre illustré par les peintres et sculpteurs de l’Ecole de Paris, Genève, Skira, 1946), inaugure en 1931 sa conception du livre illustré. Matisse n’y revient que dix ans plus tard avec Les Amours de Pierre de Ronsard qui ouvrent une période extraordinairement riche dans ce domaine. Les réalisations se succèdent, et parfois même se chevauchent : Pasiphaé, Chant de Minos d’Henry de Montherlant, Poèmes de Charles d’Orléans, Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire, la poésie de Pierre Reverdy (Visages), Les lettres de Marianna Alcaforado, dites Les Lettres portugaises, le livre Jazz, ou encore la prose de son vieil ami André Rouveyre dans Repli.

C’est à sa fille Marguerite Duthuit-Matisse, que l’artiste confie le soin de superviser le tirage de ses gravures et la réalisation de ses livres. Dans cette tâche, Marguerite avait la même exigence que son père. Claude Duthuit, son fils et petit-fils de l’artiste, auteur du catalogue raisonné, rapporte une remarque de Rouault à ce propos « Il n’y a qu’un être plus difficile que moi avec les imprimeurs, c’est la fille de Matisse »[1].

Anne Coron, Docteure en Histoire de l’Art contemporain

© Galerie de l’Institut

[1] Claude Duthuit 1983, p. XI