© Boris Lipnitzki / Roger-Viollet

Marc Chagall, de son vrai nom Moyshe Segal, naît le 7 juillet 1887 à Vitebsk en Biolérussie. Ainé d’une fratrie de neuf enfants, il grandit dans une famille de confession juive très imprégnée de culture religieuse. Il suit l’enseignement de l’école primaire juive traditionnelle à Vitebsk, puis il intègre le collège laïque de la ville.  

Fin 1906, après un bref passage dans l’atelier du peintre Jehuda Pen à Vitebsk, il s’installe à Saint-Pétersbourg. Il s’inscrit à l’École de dessin fondée par la Société impériale pour la protection des Beaux-Arts qu’il quitte à l’été 1908. Il suit ensuite le cours d’art moderne de Léon Bakst, peintre, décorateur des ballets russes de Serge Diaghilev, à l’école Svanseva. Il découvre « l’art moderne vivant »[1] et les cercles intellectuels et littéraires. Bakst lui apprend notamment l’importance de la couleur. Il se nourrit également des icônes anciennes qui se trouvent dans les églises de Saint-Pétersbourg. Le folklore russe est une autre source d’inspiration majeure de son art. A la fin de l’été 1909, il rencontre Bella Rosenfeld dont il tombe éperdument amoureux.

 

Hommage à Apollinaire, Chagall, 1913

Hommage à Apollinaire, 1913, huile sur toile, 200, 4 x 189, 5 cm, Eindhoven, van Abbemuseum

© Arend Vermazeren / © ADAGP, Paris, 2023.

Grâce à une bourse Chagall arrive à Paris en mai 1911. Il s’inscrit d’abord à l’académie de la Palette où il suit les cours de Dunoyer de Segonzac puis à celle de la Grande Chaumière où il peut travailler d’après modèle. Il découvre l’art d’avant-garde parisien, en particulier le fauvisme et le cubisme qui sont autant de jalons essentiels de sa formation. Son art se modifie. La couleur devient en effet son principal moyen d’expression, sa palette s’éclaircit et se colore, associée à un découpage géométrique des formes et de l’espace.

Il fréquente les galeries, les salons, le musée du Louvre. Cette période est celle d’un émerveillement pour la « Ville Lumière » et ses couleurs intenses. Aux yeux d’André Breton l’année 1911 est pour Chagall celle de « sa totale explosion lyrique. C’est de cet instant que la métaphore, avec lui seul, marque son entrée triomphale dans la peinture moderne »[2].

À l’hiver 1912, il s’installe à la Ruche, cité d’artistes où demeurent Chaïm Soutine, Amedeo Modigliani, Fernand Léger, Henri Laurens, Ossip Zadkine. Son atelier lui permet de peindre des œuvres de grandes dimensions telles que La Noce(Paris, musée national d’Art moderne, Centre Pompidou), fresque joyeuse de près de deux mètres de longueur, exécutée d’après le souvenir d’un mariage juif célébré dans son village natal. Marqué par la géométrisation du cubisme, l’espace est totalement compartimenté par la couleur rappelant l’orphisme de Sonia et Robert Delaunay. La Noce réunit déjà deux aspects essentiels de son œuvre, une iconographie très personnelle, issue du souvenir, et l’importance de la couleur. L’artiste expose au Salon des Indépendants (notamment Dédié à ma fiancée, 1911, Berne, Kunstmuseum) et au Salon d’Automne (Golgotha, 1912, New York, MoMA).

Cette période est marquée par des rencontres importantes. Chagall se lie d’amitié avec le poète Blaise Cendrars proche du couple Delaunay. Il fait la connaissance de Guillaume Apollinaire alors proche de Pablo Picasso et de Max Jacob. Il peint Hommage à Apollinaire en 1912-1913 (Eindhoven, musée Van Abbe). Le poète lui présente Herwarth Walden, fondateur de la galerie berlinoise Der Sturm et de la revue du même nom, très engagé en faveur de l’expressionnisme allemand et plus généralement de l’art d’avant-garde. Walden organise dans sa galerie à l’été 1914 la première grande exposition consacrée à l’œuvre de Chagall.

Les Amoureux en vert, Chagall, 1916-1917

Les Amoureux en vert, 1916-1917, huile sur toile, 69,7 x 49,5 cm, Paris, musée national d’Art moderne, Centre Pompidou

© MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Philippe Migeat © ADAGP, Paris, 2023.

En 1914, Chagall rentre à Vitebsk pour un court séjour. Il revient à ses racines tout en poursuivant son dialogue avec le cubisme. Il retrouve Bella qui lui inspire une série d’œuvres sur le thème des amoureux : Les Amoureux, 1913-1914 (New York, The Metropolitan Museum of Art), Les Amoureux en vert, 1916-1917 (Paris, musée national d’Art moderne, Centre Pompidou). Le motif des amoureux en vol, caractéristique de son œuvre, apparait à cette époque. La déclaration de la guerre l’oblige à rester en Russie.

Le 25 juillet 1915 Marc Chagall et Bella se marient. En septembre ils s’installent à Saint-Pétersbourg. Leur fille Ida naît l’année suivante. Le couple fréquente l’intelligentsia russe, rencontre les poètes Alexandre Block, Sergueï Essénine, Vladimir Maïakovski, Boris Pasternak. Chagall bénéficie d’une grande notoriété. En 1916 il expose au Valet de Carreau, association en faveur de l’art moderne. En 1918 il est nommé commissaire des beaux-arts de la région de Vitebsk. Il crée le musée d’art contemporain et l’école d’art de la ville. Il constitue une équipe de professeurs parmi lesquels figurent Kasimir Malévitch, El Lissitzky, Jean Pougny. En désaccord avec le dogmatisme de Malévitch, Chagall quitte l’école en juin 1920 et s’installe à Moscou. Sous l’égide de Malévitch et du suprématisme, l’école devient l’Ounovis, institut en faveur du nouveau en art.

À l’orée des années vingt son compatriote, Serge de Diaghilev, organise à Paris et à Londres de nombreux ballets auxquels collaborent les principaux acteurs de l’art moderne, Picasso, Matisse, Derain, etc. A Moscou à la même époque, Chagall fait également l’expérience de la décoration pour la scène, sur les pas de son ancien professeur Léon Bakst. Il crée en 1919 les décors et les costumes du Revizor de son compatriote Nicolas Gogol pour le Théâtre satirique à Moscou. L’année suivante, il est invité à travailler au Théâtre juif d’État, le Gossiet, d’Alekseï Granovski (le Théâtre de Chambre juif de Moscou). Il conçoit les décors et les costumes des Miniatures de Sholom Aleichem. Il exécute également le décor du théâtre. Il peint plusieurs panneaux dont Introduction au Théâtre juif, La Musique, La Danse, Le Théâtre, La Littérature (tous conservés à la Galerie nationale Trétiakov de Moscou), le rideau du devant de la scène et le décor du plafond. Cet ensemble décoratif comporte de nombreux éléments développés par l’artiste dans son travail postérieur. « J’ai retrouvé dans ces décors une certaine acrobatie de formes, une certaine magie de sons, d’accord singuliers, une atmosphère heureuse de pirouettes de formes dans l’espace, comme des signes précurseurs »[3].

Nozdriov, planche 23 des Âmes mortes de Gogol illustré par Marc Chagall

Nozdriov, 1930, eau-forte en noir sur Arches, 38,5 x 28,5 cm, planche 23 du livre illustré Les Âmes mortes, Tériade Éditeur, Paris

© Galerie de l’Institut / © ADAGP, Paris, 2023.

En avril 1922 Chagall quitte la Russie pour Berlin, autre capitale des arts qui connait alors une remarquable effervescence intellectuelle et artistique. Il réalise ses premières gravures – il a alors trente-cinq ans –, à la demande du marchand éditeur Paul Cassirer, pour illustrer son autobiographie, Ma Vie. Le 1er septembre 1923 il revient à Paris avec sa famille. Par l’intermédiaire de son ami Blaise Cendrars, Chagall entre en contact avec le célèbre marchand de tableaux et éditeur Ambroise Vollard pour lequel il réalise l’illustration des Âmes mortes de Nicolas Gogol puis dans la foulée celle des Fables de Jean de La Fontaine (1926-1927), ainsi qu’un ensemble de dix-neuf gouaches ayant pour titre Cirque Vollard (fin 1927).

En 1924, a lieu à Paris la première rétrospective de son œuvre à la Galerie Barbazangues-Hodebert. Ces années sont celles de la naissance officielle du Surréalisme. André Breton en publie le Manifeste en 1924. Paul Eluard et Max Ernst rendent visite à Chagall dans l’espoir d’obtenir son adhésion au groupe, en vain. Chagall tient à rester indépendant. Cependant son œuvre présente incontestablement de réelles affinités avec le surréalisme notamment sa forte part d’onirisme. Pour Breton, « il n’a rien été de plus résolument magique que cette œuvre, dont les admirables couleurs de prisme emportent et transfigurent le tourment moderne »[4].

Au cours des mêmes années Chagall se lie avec Christian Zervos, fondateur de la revue Cahiers d’Art en 1926, et Tériade qui y est alors chargé des pages consacrées à l’art moderne. Celui-ci publie d’ailleurs un texte sur l’artiste dès la sixième livraison de cette première année[5]. Fin 1926, Chagall signe un contrat avec la galerie Bernheim-Jeune. Celle-ci présente les gouaches préparatoires des Fables en février 1930. L’exposition fait ensuite étape à la galerie du Centaure à Bruxelles puis à la galerie Flechtheim à Berlin. Le succès est total, toutes les œuvres sont vendues.

Chagall voyage en France. Il découvre Nice qui le séduit par sa lumière et sa végétation. En 1931, il est invité en Palestine par le maire de Tel Aviv, Meïr Dizengoff, qui envisage de créer un musée d’art juif. Il y reste de février à avril. A son retour, il réalise des gouaches pour l’illustration de la Bible, autre commande de Vollard datant de l’année précédente. Elles font aujourd’hui partie des collections du musée national Message Biblique Marc Chagall. C’est en 1930 aussi, à un moment de croissance du livre d’artiste, et sans conteste dans le prolongement de l’impulsion donnée par Vollard, que le jeune éditeur suisse, Albert Skira commande à Picasso l’illustration des Métamorphoses d’Ovide, puis l’année suivante à Matisse celle des Poésies de Mallarmé.

La montée du nazisme entraîne la prise de mesures par le régime allemand à l’encontre de l’œuvre de Chagall. Un autodafé de ses œuvres est organisé à la Kunsthalle de Mannheim. Comme la majorité des artistes de la modernité, il est qualifié par les nazis d’« artiste dégénéré ». Ses œuvres font partie de l’exposition « Entartete Kunst » organisée à Munich à partir du 19 juillet 1937, à côté d’une sélection d’œuvres d’avant-garde décrochées des cimaises des musées allemands. Grâce à l’intervention de l’écrivain Jean Paulhan, à la tête de La Nouvelle Revue Française, Chagall obtient en 1937 la nationalité française, qui lui avait été refusée en 1933. Peu avant la déclaration de guerre, inquiet, sentant la menace grandir, Chagall s’installe à Saint-Dyé-sur-Loire emmenant avec lui les toiles de son atelier. En mai 1940, il se réfugie au Sud de la Loire, à Gordes en zone libre.

Marc Chagall, La Guerre, 1943

La Guerre, 1943, huile sur toile, 106 x 76 cm, Céret, musée d’Art moderne (dépôt du Centre Pompidou)

© Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Jacqueline Hyde © ADAGP, Paris, 2023.

En 1941 il quitte la France pour New York. Il bénéficie de l’Emergency Rescue Committee créé pour porter secours aux intellectuels et aux artistes menacés par les autorités allemandes. Comme pour nombre d’autres personnalités, son départ est organisé par Varian Fry depuis Marseille.

 Il arrive à New York le 21 juin. Outre Atlantique, Pierre Matisse, fils du peintre Henri Matisse, devient son marchand. Chagall participe à la célèbre exposition collective Artists in exile qu’il organise dans sa galerie du 3 au 28 mars 1942, réunissant notamment Matta, Ernst, Masson, Tanguy, Breton, Léger, Lipchitz, Mondrian, Ozenfant, Zadkine. La même année, Léonide Massine, directeur artistique des Ballets de Monte Carlo, en Amérique depuis le début du conflit, lui commande les décors et les costumes d’Aleko, d’après les Tziganes d’Alexandre Pouchkine sur une musique de Piotr Ilitch Tchaïkovski. Le ballet est créé à Mexico au Palacio de Bellas Artes, le 8 septembre 1942, puis donné à New York au Metropolitan Opera House.

Cette période menaçante pour sa Russie natale occupée et le sort des juifs restés en Europe lui inspire des œuvres à la tonalité tragique à la fois dans les couleurs, les compositions et les sujets. Le cycle des quatre peintures, élaboré entre 1940 et 1943, intitulé par Franz Meyer Le Village et la guerre, auquel appartient La Guerre du musée d’Art moderne de Céret, en donne la mesure. Le thème de la crucifixion, incarnation de la souffrance humaine, devient également récurrent. À cela s’ajoute le décès subit de sa femme Bella le 2 septembre 1944. Chagall est anéanti. Il ne peint pas durant neuf mois. En 1945, il réalise les décors de L’Oiseau de feu d’Igor Stravinsky.

À la fin de la Guerre, l’artiste bénéficie d’une reconnaissance internationale. À partir de 1946, son œuvre fait l’objet de plusieurs expositions : au Museum of Modern Art de New York (d’avril à juin 1946) suivie d’une étape à Chicago, au musée national d’Art moderne à Paris (17 octobre – 22 décembre 1947), à la Tate Gallery de Londres (février 1948), à la Biennale de Venise en 1948 où il reçoit le prix de gravure, à la Kunsthaus de Zurich (décembre 1950 – janvier 1951).

Marc Chagall, La Danse, 1950
La Danse, 1950, huile sur toile, 238 x 176 cm, Nice, musée national Message Biblique Marc Chagall

© RMN-Grand Palais (musée Marc Chagall) / Gérard Blot © ADAGP, Paris, 2023.

Chagall rentre définitivement en France en août 1948. Il s’installe à Orgeval en région parisienne. L’année suivante il effectue plusieurs séjours dans le Sud de la France, à Saint-Jean-Cap-Ferrat, à Saint-Jeannet, à Vence. « En m’approchant de la Côte d’Azur, j’éprouvais un sentiment de régénération, quelque chose que j’avais oublié depuis l’enfance. Le parfum des fleurs, une sorte d’énergie nouvelle se déversait en moi »[6]. Séduit par l’intensité du paysage méditerranéen et de sa lumière, Chagall emménage à Vence, villa Les Collines, au printemps 1950. Après la guerre, la région est très prisée des artistes. À l’époque, Pablo Picasso est à Vallauris, Henri Matisse à Nice, Georges Rouault à Golfe-Juan, l’éditeur Tériade à Saint-Jean-Cap-Ferrat. Chagall se rapproche de ce dernier qui reprend les projets de livres de Vollard, restés en suspens après sa mort accidentelle en juillet 1939 puis la guerre. Outre les livres, Chagall collabore à la revue Verve créée par Tériade en 1937. Il exécute des dessins autour du Décaméron de Boccace auquel l’éditeur consacre un numéro entier intitulé Contes de Boccace (vol. VI, n°24, 1950), plus tard en 1956 et 1960 deux autres numéros spéciaux de Verve dédiés au travail de Chagall sur La Bible (vol. IX, n°33-34 ; vol. X, n°37-38).

Ce nouveau contact avec la Méditerranée, comme jadis son séjour à Mourillon en 1926, s’accompagne d’un important renouvellement de sa peinture. La couleur lumineuse et éclatante refait surface autour de sujets qui témoignent d’un bonheur retrouvé. A Vence il revit chaque jour « le miracle de la croissance et de la floraison dans la lumière à la fois forte et douce qui baign[e] tout l’espace »[7]. Dans un langage qui lui est très personnel Chagall crée une Méditerranée mythique dans laquelle prennent place ses motifs de prédilection. Le couple d’amoureux, le coq, le violon ou le violoniste, le poisson, l’âne, la lune, les bouquets sont parmi les acteurs les plus récurrents de son iconographie. L’artiste les associe dans un univers poétique et onirique libéré de toutes contraintes d’espace et d’échelle.

« Par l’usage que je fais des éléments picturaux je me sens plus “abstrait” que Mondrian ou Kandinsky. “Abstrait” non au sens où ma peinture ne rappelle pas la réalité. […] Par “abstrait”, j’entends quelque chose qui vient à la vie spontanément à travers toute une palette de contrastes à la fois plastiques et psychiques, une conception d’éléments nouveaux et non familiers qui envahissent aussi bien le tableau que l’œil du spectateur »[8].  

En France, Aimé Maeght devient son marchand tandis que Pierre Matisse conserve le marché américain. Au début des années cinquante Chagall diversifie sa pratique. Il exécute ses premières céramiques à l’atelier Madoura de Suzanne et Georges Ramié situé à Vallauris, où travaille également Picasso. À la même époque il s’initie à la sculpture, partie moins connue de son œuvre, avec le marbrier et tailleur Lanfranco Lisarelli. Ses sculptures sont en majorité des hauts et bas-reliefs, des rondes-bosses ainsi que quelques plaques qui reprennent les mêmes motifs que ceux de sa peinture. La galerie Maeght présente dès 1952 des céramiques et des sculptures de l’artiste, dont les Amoureux au bouquet en pierre de Rognes (collection privée). Chagall revient régulièrement à Paris où il se consacre à la gravure et à la lithographie. Il fréquente l’atelier de Fernand Mourlot où il rencontre Charles Sorlier qui devient son collaborateur principal pour le tirage de ses lithographies. Chagall se remarie en 1952 avec Valentina Brodsky, dite « Vava ».

Marc Chagall Vitrail Cathédrale de Metz

Marc Chagall, Charles Marcq et Brigitte Simon, La création de l’Homme, des Animaux, de la Femme et l’Expulsion du Paradis, 1958-1968, vitrail, Metz, Cathédrale Saint-Étienne-de-Metz

© Jean-Pierre Dalbéra / © ADAGP, Paris, 2023.

Dans les années cinquante et jusqu’à la fin de sa carrière l’activité de Chagall est particulièrement tournée vers la décoration. Les commandes se multiplient. Elles vont prendre une importance croissante.

Dans le contexte du renouveau de l’art sacré qui s’épanouit à partir de 1950 – Matisse décore la chapelle du Rosaire des Dominicaines de Vence, Picasso conçoit La Guerre et La Paix pour la chapelle du château de Vallauris, Braque des vitraux pour l’église Saint Valéry et la chapelle Saint Dominique de Varengeville –, Chagall participe avec Matisse, Léger, Rouault, Braque, Germaine Richier – dont le Christ en croix suscite le scandale – à la décoration de l’église Notre-Dame-de-Toute-Grâce sur le Plateau d’Assy en Haute-Savoie. Le Père Marie-Alain Couturier, l’un des principaux instigateurs de ce tournant, lui confie le décor du baptistère. L’artiste conçoit une grande céramique murale La Traversée de la mer rouge, deux bas-reliefs en marbre et deux vitraux réalisés en collaboration avec le peintre verrier Paul Bony. L’ensemble est achevé en 1957.

           

Par la suite, il réalise une quantité impressionnante de vitraux, la plupart pour des édifices religieux, en réponse à des commandes, publiques et privées. Il s’attache la collaboration du maître verrier Charles Marq, de l’atelier Simon-Marq de Reims, dont il fait la connaissance en 1958. L’imagerie figurative des vitraux de Chagall fait progressivement exception dans le paysage du vitrail au cours de la seconde moitié du XXe siècle dominé par l’abstraction. Citons parmi ses réalisations les vitraux de la cathédrale de Metz (1956-1959), ceux de la synagogue du centre médical Hadassah à Jérusalem, représentant les douze tributs d’Israël (1959-1961), exposés au musée des Arts décoratifs puis au MoMA (entre juin 1961 et janvier 1962), celui du siège de l’Organisation des Nations Unies à New York (La Paix, 1964), ceux de l’Union Church de Pocantico Hills près de New York (1964 et 1965-1967), qui côtoient le vitrail de Matisse, Rosace, sa dernière œuvre.

Maquette définitive pour le plafond de l'Opéra Garnier, Paris, 1963

Maquette définitive pour le plafond de l’Opéra Garnier, Paris, 1963, crayon, crayons de couleurs, Encre de Chine, pastels, gouache sur papier,140 x 140 cm, Paris, musée national d’Art moderne, Centre Pompidou

© Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Audrey Laurans © ADAGP, Paris, 2023.

Chagall s’illustre dans d’autres domaines que le vitrail. En 1958 il renoue avec la scène. L’Opéra de Paris lui commande les décors et les costumes du ballet Daphnis et Chloé de Maurice Ravel et Michel Fokine. Il a déjà peint en 1954, au cours de son second séjour en Grèce puis à son retour, les gouaches très colorées illustrant le récit bucolique de Longus, matrices des lithographies du livre édité par Tériade en 1961. Il conçoit encore en 1966 les décors et les costumes de la Flûte enchantée de Mozart pour le Metropolitan Opera de New York, ainsi que deux peintures murales monumentales Les Sources de la musique et Le Triomphe de la musique.

Dans l’intervalle en 1964, à la demande d’André Malraux, Ministre des Affaires culturelles depuis 1959, Chagall exécute le décor du plafond de la salle de l’Opéra Garnier de Paris destinée à recouvrir la décoration d’origine, les Muses et les Heures du jour et de la nuit, peinte en 1875 par Jules-Eugène Lenepveu. La composition de Chagall rend hommage au caractère universel de la musique. Elle s’inspire de l’œuvre de quatorze compositeurs, dont Claude Debussy, Maurice Ravel, Piotr Ilitch Tchaïkovski.

En 1966, l’artiste et sa femme s’installent à Saint-Paul-de-Vence dans une maison baptisée « La Colline ». L’année suivante ils donnent à l’État français dix-sept grands tableaux composant le Message Biblique, un cycle entrepris au début des années cinquante destiné à l’origine à la chapelle majeure du Calvaire de Vence, ainsi que trente-huit gouaches qui lui sont liées. La donation stipule la construction d’un bâtiment pour accueillir les œuvres. L’ensemble est présenté au musée du Louvre de juin à octobre 1967. Afin d’illustrer la diversité technique de sa production depuis l’après-guerre, l’artiste crée pour le futur musée une tapisserie destinée au hall d’entrée, une mosaïque murale, et trois grands vitraux pour l’auditorium. Le musée national Message Biblique Marc Chagall à Nice est inauguré le 3 juillet 1973.

Le vitrail la Création du Monde de Marc Chagall, 1971-1972

La Création du monde : Les Quatre premiers jours, 1971-1972, vitrail, 465 x 396 cm, Nice, musée national Message Biblique Marc Chagall

© RMN-Grand Palais (musée Marc Chagall) / Adrien Didierjean © ADAGP, Paris, 2023.

À Saint-Paul-de-Vence, il continue à concevoir des programmes décoratifs d’envergure. Des vitraux : l’église Fraumünster de Zurich (1968-1970), la cathédrale de Reims (1969-1974), la chapelle des Cordeliers de Sarrebourg (1976-1977), l’église Saint-Etienne de Mayence. Les trois panneaux de l’Art Institute de Chicago (La Musique et la Peinture, La Poésie et l’Architecture, et Le Théâtre et la Danse, inaugurés en 1977), la chapelle du Saillant à Voutezac en Corrèze. Il se livre aussi à la création de tapisseries et de mosaïques : trois tapisseries, La Prophétie d’Isaïe, L’Exode et L’Entrée à Jérusalem, tissées à la Manufacture des Gobelins, et une mosaïque murale, Le Mur des Lamentations, et pour le parlement israélien, la Knesset (1966-1969), la mosaïque Le Message d’Ulysse pour la faculté de droit de l’Université de Nice (1968), la mosaïque monumentale Les Quatre Saisons sur la First National Plaza de Chicago, commandée par la First National City Bank, installée en 1974.

Chagall, Maquette pour le vitrail, La Paix ou L'Arbre de vie, 1976

Maquette pour le vitrail, La Paix ou L’Arbre de vie, Chapelle des Cordeliers, Sarrebourg, 1976, crayon, aquarelle, gouache et encre de Chine sur papier, 105, 5 x 66 cm, Nice, musée national Message Biblique Marc Chagall

© RMN-Grand Palais (musée Marc Chagall) / Adrien Didierjean © ADAGP, Paris, 2023.

En 1973, après plus de cinquante années passées loin de son pays, Chagall retourne en Russie à l’occasion une exposition à la Galerie nationale Tretiakov à Moscou. L’artiste est nommé en 1977 Grand-Croix de la Légion d’Honneur et citoyen d’honneur de la ville de Jérusalem la même année.

Enfin en 1984 trois grandes rétrospectives célèbrent son quatre-vingt-dix-septième anniversaire: au Centre Georges-Pompidou à Paris (l’œuvre sur papier), à la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence (l’œuvre peint) et au Musée national Message Biblique Marc Chagall à Nice (l’œuvre sculpté et le vitrail).

Chagall s’éteint à Saint-Paul-de-Vence le 28 mars 1985. Il est enterré dans le cimetière de Saint-Paul-de-Vence.

 

Anne Coron, Docteure en Histoire de l’Art contemporain

Louise Feld, Assistante de galerie – Galerie de l’Institut

© Galerie de l’Institut

[1] Franz Meyer, Marc Chagall, New York, Harry N. Abrams, 1964, p. 59.

[2] André Breton, « Genèse et perspective artistiques du surréalisme », 1941, dans Le Surréalisme et la peinture, Paris, Gallimard, [1965] 2002, p. 89.

[3] Propos de Chagall rapportés par André Verdet dans Entretiens, notes et écrits sur la peinture, Braque, Léger, Matisse, Picasso, Chagall, Nantes, Éditions du Petit Véhicule, 2001, p. 215-216.

[4] André Breton, « Genèse et perspective artistiques du surréalisme », 1941, Le Surréalisme et la peinture, Paris, Gallimard, [1965], 2002, p. 89.

[5] Tériade, « Marc Chagall », Cahiers d’Art, n°6, 1926, p. 122-127.

[6] Lettre de Virginia Haggard à Adele et Joseph Opatoshu, 26 mai 1950, dans Benjamin Harshav, Marc Chagall and His Times, A Documentary Narrative, Stanford, University Press, 2004, p. 48.

[7] Franz Meyer, Marc Chagall, Paris, Flammarion, 1995, p. 250.

[8] Propos de Chagall cités par James Johnson Sweeney, « An Interview with Marc Chagall », Partisan Review, vol. 11, n°1, hiver 1944, p. 88-93.